QU’APPELLE-T-ON LES « VILLAGES TAOBAOS » ?
Taobao : Il s’agit de la plateforme de vente en ligne lancée en 2003 par Alibaba. Cette plateforme C2C compte aujourd’hui plus de 500 millions d’utilisateurs actifs et comprend également une branche B2C lancée en 2008 : T-Mall. Au total, ce serait près de 3 000 milliards de yuans échangés sur ces deux plateformes au cours de l’année 2017.
Cette année, une grande partie des déguisements d’Halloween portés dans les villes de la côte provenaient probablement d’un petit village d’une province rurale de la Chine, un de ces villages surnommés « villages Taobaos ». Il s’agit d’un autre aspect de la révolution du retail en Chine et nous vous en proposons ici une lecture dont nous espérons qu’elle vous inspirera dans votre approche du e-commerce chinois. En quoi consiste exactement ces villages ? Comment des entrepreneurs avec peu de ressources se sont-ils appropriés le e-commerce avec succès et quelle utilisation en font-ils ? Outre le fait de mieux connaitre la situation actuelle dans ce pays, les sociétés européennes de retail, à qui il est souvent conseillé de développer une stratégie de e-commerce dans leur activité en Chine, peuvent également s’inspirer de ces micro-entreprises.
Une communauté rurale tournée vers le e-commerce
La définition officielle d’un « village Taobao » est une communauté rurale dont au moins 10% des familles utilise Taobao pour la vente de leurs produits, ou dans lequel 100 boutiques en ligne ont été ouvertes par des villageois ; et dont le volume de transaction est d’au moins 10millions de yuans. Cette définition est donnée par Aliresearch, centre de recherche d’Alibaba dont le travail est de compiler et d’exploiter toutes statistiques utiles sur la nature de leurs commerces en ligne. Ces villages se sont d’abord développés dans le cadre d’Alibaba, et ont été rapidement soutenus par les autorités chinoises qui voient en eux un moyen de lutte contre la pauvreté, de promouvoir le développement des provinces de l’Ouest, et de ralentir l’exode rural, priorités du 13ème Plan Quinquennal. Il faut savoir qu’aujourd’hui, encore 45% de la population chinoise vit dans des villages (souvent plus grands que nos villages européens). Ces organisations sont d’autant plus les bienvenues qu’elles naissent d’initiatives personnelles, apportant ainsi une culture de l’entrepreneuriat dans les campagnes chinoises, culture identifiée comme l’une des clés du succès des villes modernes de la côté. Aujourd’hui, JD.com promeut également sa plateforme dans les communautés rurales.
En croissance de 25% en 2015, on dénombre 2 118 « villages Taobaos » en 2017, totalisant 120 milliards de yuans de ventes (Aliresearch). C’est en tout 1.3% de la population active chinoise qui est impliquée dans le e-commerce cette année-là (10millions). Comme mentionné ci-dessus, cette initiative est activement soutenue par Alibaba qui a publié un plan d’investissement 2017-2019 de 1,6 milliards USD, avec pour objectif d’ouvrir 100 000 centres Taobaos ruraux. Le deuxième acteur important est le gouvernement chinois qui, pour les raisons susmentionnées, alloue 300millions USD à 200 comtés ruraux pour la construction d’entrepôts, la formation de main d’œuvre. En conséquence, il semblerait que les jeunes reviennent à la campagne ou du moins en partent moins puisque 52% des propriétaires de commerce en ligne dans ces villages ont moins de 30ans.
Des micro-entreprises qui expérimentent
Ces statistiques démontrent le succès a priori d’un business model disposant d’un style de gestion unique : ces micro-entreprises sont en effet souvent ouvertes par des personnes ayant peu de qualification et qui, profitant des faibles coûts d’entrée, adoptent une approche d’expérimentation du marché, en adaptant constamment leurs produits grâce aux statistiques fournies par Taobao et aux retours clients. La plupart de ces entreprises produisent dans les villages pour vendre vers les villes, mais certains font l’inverse : ils achètent dans les grandes villes et distribuent ensuite dans les villages. Pour ceux qui vendent vers les villes, le e-commerce leur donne accès à un marché bien plus grand, abolissant les distances (pourvu que les infrastructures le permettent) et permettant de vendre ses produits plus chers dans des villes au pouvoir d’achat plus élevé. Enfin, on observe différentes utilisations de ce nouveau canal de distribution. Certains villages se spécialisent dans les produits agricoles locaux (baies de Goji de Ningxia, pousses de bambous, thé, et patates douces à Suichang) lorsque d’autre se spécialisent dans un type de produit sans relation avec la localisation (équipement d’extérieur, costumes…). Il semblerait que ce soit dans le premier domaine que la demande est la plus forte, les consommateurs attendant des produits locaux moins chers et potentiellement plus sains (agriculture biologique). On remarque par ailleurs que la spécialisation se fait souvent à l’échelle du village, d’où la dénomination de « villages Taobaos », impliquant une échelle plus large qu’une simple boutique.
Spécialisation régionale?
Autres évolutions intéressantes, certains villages ont mis en place des associations « Taobaos » pour assurer la qualité, à l’image d’une Chambre d’Industrie. Par ailleurs, les « villages Taobaos » voient leurs activités tertiaires (vente, livraison, stockage) se développer fortement, jusqu’à représenter 50% du PIB local. Enfin, l’éco-tourisme se développe également, conséquence de la familiarisation des citadins avec les produits ruraux. Cette dernière évolution est d’autant plus intéressante pour les sociétés européennes que l’on observe en Europe un phénomène similaire. Sans discuter des voyages thématiques « Grands crus » et autres en France dont la popularité augmente tous les ans, on peut citer le cas de ce village de Momchilovtsi en Bulgarie, dont le yaourt est devenu extrêmement populaire en Chine, conduisant des cars de touristes jusqu’à ce village des montagnes de Rhodope. Ainsi, l’origine et l’identité locale devient un concept de branding de plus en plus important en Chine.
Survivre à la concurrence sur les plateformes
Il faut toutefois mentionner certaines limites rencontrées dans ces « villages Taobaos ». Tout d’abord, leur développement n’est pas si évident car l’accès aux technologies numériques est encore bien souvent limité en Chine : 1% des foyers connectés au haut débit dans la plupart des villages (l’objectif annoncé dans le plan gouvernemental « Internet + » est de 98% en 2020.) Une autre limite, plus commune dans le domaine du e-commerce et également rencontrée par les sociétés européennes, est celle d’un branding limité et donc de produits facilement copiés. Ainsi, le « village Taobao » de Qingyangliu n’a que 20 à 30% de business viables ; la cause identifiée est un marché saturé où il est difficile d’être compétitif face aux grosses entreprises. Une autre conséquence négative de ce développement est enfin la pollution environnementale : l’augmentation des déchets n’est en effet pas contrôlée.
Entre opportunité de développement et concept dont la rentabilité durable reste encore à prouver, les « villages Taobaos » sont en tout état de cause une curiosité de la révolution du retail en Chine, illustration de l’esprit d’entreprise actif que l’on peut trouver en Chine. Ils prouvent également que le e-commerce offre des opportunités en termes d’accès à bas coût à des marchés éloignés mais que les difficultés persistent, notamment lorsqu’il s’agit de construire une image de marque, sur un marché saturé.
Par Manon Bellon
Crédits images : Greg Jenkins